La chaîne d’informations britannique BBC se penche sur la disparition progressive du vouvoiement sur le site de micro-blogging, pour l’adoption d’un discours plus détendu qu’en face-à-face. Question découlant de cette constatation : cette lassitude du formel « vous » aura-t-elle un impact sur la langue de Molière ?
De plus en plus de jeunes en témoignent : l’usage du tutoiement sur Twitter leur pose de moins en moins de problème. Pourquoi ? Parce que le vouvoiement leur semble en contradiction avec les us et coutumes du réseautage social : le choix d’un pseudonyme, le doute constant de s’adresser à la personne à qui l’on croit réellement s’adresser et… le fait que « tu », c’est deux fois moins de caractères que « vous ». Et ça, sur Twitter, ça compte.
Le tutoiement, symbole de liberté, d’égalité et de fraternité sur le web
Antonio Casilli, professeur de sciences numérique à Paris, explique qu’Internet a été utilisé dès ses prémisses comme un outil œuvrant pour la chute des barrières sociales. Le résultat : un « discours politique égalitaire » jamais vu auparavant. Il poursuit en soulignant que sur le web, les internautes sont égaux, sans distinction sociale, quel que soit leur âge, leur sexe ou leurs revenus. Ainsi, vouvoyer quelqu’un revient à lui imposer une hiérarchie – non-sens dans une génération de réseautage social à tout va.
Le cas Joffrin
En juillet 2011, Laurent Joffrin, directeur du Nouvel Observateur, avait gentiment incendié l’un de ses followers en lui demandant purement et simplement : « Qui vous autorise à me tutoyer ? » après une démonstration de sympathie un peu trop singulière de la part du twitteur. Conséquence de la sortie du journaliste : une mini-tempête, où Joffrin s’était vu lui-même accusé de grossièreté et de condescendance.
Depuis, l’arroseur arrosé a cessé d’utiliser Twitter – tout en certifiant que son retrait du site de micro-blogging n’avait rien à voir avec l’affaire du tu. Cependant, il considère comme « déplaisant » l’épisode. Selon lui, ce tutoiement à foison exerce l’effet inverse de son but initial : il exacerbe les tensions plutôt que ne force la tolérance. « Les usagers de Twitter n’oseraient jamais aller dans la rue et tutoyer des inconnus« , explique le journaliste, « car le tutoiement est une forme de violence – ne voit-on pas des automobilistes se tutoyer pour s’insulter ? »
Un effet sur la langue française ?
Sur un plan historique, il est un peu trop tôt pour calculer l’impact linguistique de ce tutoiement cybernétique à foison sur notre belle langue. Les derniers changements majeurs en matière de « tu » ont eu lieu il y a quelques quarante-quatre ans, en… Mai 68. Bien que le tutoiement soit plus fréquent depuis, des règles sociales régissent encore et toujours son utilisation – ce malgré les efforts des twittos jeunes et moins jeunes.
Et à l’étranger ?
Comme il n’y a pas que la France dans la vie, la BBC fait un rapide tour d’horizon de quelques États, à commencer par le Royaume-Uni. Dans la langue de Shakespeare, nul tracas avec le vouvoiement puisqu’il n’existe pas, mais un constat : les e-mails sont beaucoup plus susceptibles de commencer avec un « hi » (équivalent plus relax des traditionnels « Hello », « Good morning » ou « Dear Margaret ») que jadis.
En allemand, c’est l’informel « du » qui prévaut sur le formel « Sie » – côté persan, c’est pareil. En russe, le formel « vy » reste la norme entre inconnus. Et au Japon, c’est carrément le monde à l’envers : sur le réseau social Mixi, le niveau de langue est susceptible d’être plus formel qu’en face-à-face.
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